dimanche 14 décembre 2008

"Le plan de relance du gouvernement n'est pas à la hauteur de cette crise hors norme"

Le 4 décembre dernier, Nicolas Sarkozy a présenté son plan de relance. Prime à la casse, aides à la trésorerie des entreprises, doublement du prêt à taux zéro, grands travaux. Dans l'ensemble, il s'agit d'une politique de soutien à l'offre. Mais il y a un grand absent : le soutien du pouvoir d’achat des Français, comme l'a souligné la première secrétaire du PS, Martine Aubry. Voir aussi ci-dessous l'analyse de Daniel Cohen, économiste et professeur à l’École normale supérieure, qui a accordé un entretien au PS, dans lequel il pointe en détail les insuffisances du dispositif :

Sarkozy, à Douai, jeudi 4 décembre, s’apparentait davantage à un plan de communication égrenant des mesures sans grande cohérence. Ce plan ne pèche-t-il pas par un manque de vision d’ensemble ?
Je ne crois pas que ce soit là son principal défaut. Tenter d’agir à plusieurs niveaux n’est pas forcément une mauvaise chose. Ce qui compte avant tout, c’est l’ampleur des mesures annoncées. Et c’est justement cette ampleur qui fait défaut.
Mais je voudrais rappeler en préalable un point très important. Tout plan de relance implique de conjuguer deux impératifs qui s’opposent : un impératif d’urgence et des celui d’engager des dépenses socialement utiles qui, elles, exigent du temps de mise en oeuvre.
Il est en effet nécessaire d’apporter des réponses rapides. L’une des conseillères de Barack Obama sur les questions économiques, Christina Romer, l’avait montré il y a quelques années: tous les plans de relance élaborés depuis la Seconde Guerre mondiale ont été mis en oeuvre une fois la crise finie, après la bataille ! Ils se sont ainsi révélés pro-cycliques et non contra-cycliques comme ils devaient l’être. La question du timing est donc essentielle.
Mais par ailleurs, une crise offre l’opportunité d’engager des dépenses socialement utiles, impossibles à mettre en oeuvre dans une période de croissance. Un exemple : construire des logements sociaux en période de boom immobilier tire la demande, et augmente davantage les prix. En période de récession, en revanche, on peut à la fois satisfaire un besoin social à moindre coût, et relancer l’activité du secteur du BTP particulièrement déprimé. Le problème est qu’un programme ambitieux de logements sociaux prend du temps.
À mon sens, un véritable plan de relance aurait donc dû combiner des mesures de court terme, comme la baisse de la TVA mise en place par Gordon Brown au Royaume-Uni et qui a un impact immédiat sur l’économie, et des mesures de plus long terme, s’appuyant sur une relance des grandes infrastructures au service de la communauté.
Au lieu de cela, le gouvernement est resté au milieu du gué, pensant qu’il était préférable de privilégier l’investissement public plutôt que la consommation. C’est une erreur. Il aurait fallu baisser la TVA, fût-ce pendant 6 mois seulement, le temps que les mesures d’investissements aient prise sur l’activité, ce qui aurait permis de relever la TVA.

À Douai, Nicolas Sarkozy a vanté un « plan massif d’investissement ». Est-ce réellement le cas ?
Non et c’est bien là la seconde faiblesse de ce plan de relance. Sur les 26 milliards annoncés, 11,4 milliards sont à amputer car il s’agit de sommes qui viendront en aide à la trésorerie des entreprises, mais ne représenteront pas un supplément de dépenses. L’État va rembourser ses dettes fiscales, ce qui est très bien. Mais il s’agit d’argent dû et aucunement d’argent dépensé en plus. C’est bon pour la trésorerie mais ça ne nourrira pas la demande finale, en tout cas pas du tout à hauteur du chiffre annoncé.

La « prime à la casse » est elle aussi une mesure gadget. On se souvient des « balladurettes » qui, dans un premier temps, avaient boosté les ventes de voitures avant de produire un terrible contrecoup sur les constructeurs…
La moindre des choses aurait été d’imaginer des mesures incitatives pour aider à l’achat des voitures vertes. En augmentant le bonus sur toutes les voitures vertes, par exemple. Le problème c’est que les constructeurs français ne sont pas forcément à la pointe dans ce domaine.

En préambule, vous évoquiez l’importance de l’ampleur des réponses apportées à la crise. Apparemment, le plan de relance du chef de l’État est loin de répondre à cette exigence.
Et c’est sans doute le reproche le plus important que l’on peut lui faire. Tout le plan de relance est centré sur 2009. Or, nous sommes dans une situation de crise extrême. Une crise hors norme, planétaire, parcourue de multiples incertitudes. Or l’action engagée par le gouvernement laisse croire que tout sera fini en 2009. Il aurait fallu, au contraire, un plan large, qui morde sur 2010, en prenant ici volontairement le risque, si l’on ose dire, d’aller au secours de la victoire ! Si chacun était absolument convaincu que la crise sera terminée en 2009, elle n’aurait pas cette ampleur. Le fait que le cours du baril ait perdu les deux tiers de sa valeur en trois mois – du jamais vu – est symptomatique de l’ampleur attendue.

Est-ce pour cette raison que certains économistes évoquent d’ores et déjà la possibilité d’un deuxième plan de relance ?
Oui, mais il aurait mieux valu dès le départ avoir une vision ample, avec un train de mesures qui ne viennent à échéance qu’en 2010. Un deuxième plan de relance dans six mois reposera la question des délais d’action. Pour l’instant le gouvernement a fait avancer de quelques mois des travaux qui étaient prévus pour 2010. En fait, on déshabille Paul – 2010 – pour habiller Pierre – 2009.

Concrètement, ce plan de relance ne change rien au quotidien des Français touchés par la crise ?
Rien si ce n’est la prime de 200 euros accordée aux personnes éligibles aux minima sociaux. Je le répète, baisser la TVA de deux points aurait permis de redonner immédiatement du pouvoir d’achat aux Français.
Mais je crois également qu’au-delà de l’efficacité des mesures ou des questions de timing, cette crise aurait également dû être l’occasion de mener une réflexion sur notre système de protection sociale. Il faudrait pouvoir le rendre plus réactif à la crise, en faire un système contra-cyclique. Nous nous trouvons dans une situation où beaucoup de travailleurs vont trinquer, toujours les mêmes : les plus précaires, les personnes en fin de contrat, les intérimaires… Les droits des chômeurs, par exemple, devraient être indexés sur les cycles économiques. Ainsi, dans une période de récession, leurs droits pourraient être prolongés de deux ou trois mois. Il est certain que dans un tel contexte, la guerre aux chômeurs, déclarée par le gouvernement est totalement à contre-courant. Ce n’est pas le moment de mettre la pression sur les demandeurs d’emploi pour qu’ils retrouvent un boulot. Mais c’est aussi aux partenaires sociaux d’être inventifs.

Mais, outre la guerre aux chômeurs, n’est-ce pas toute la politique du gouvernement qui est à contre-courant ?
De nombreuses prises de position du gouvernement se trouvent en effet à contrecourant dans ce contexte. Dans le cas d’une crise ordinaire, il faut laisser jouer les « stabilisateurs automatiques » de l’économie : dans une période de récession, les rentrées fiscales sont moins importantes et le déficit se creuse, mais c’est une bonne chose : les effets de la récession sont amortis. Seulement, le gouvernement s’étant privé de réserves budgétaires dès le début de l’année 2008, du fait de la loi TEPA, a dû geler un certain nombre de crédits et de budgets pour 2008, ce qui a aggravé la crise cette année.

Sans compter que le gouvernement français a longtemps nié la réalité. Au mois d’août, François Fillon déclarait encore : «Nous n’avons pas besoin d’un plan de relance. »
Cette prise de conscience tardive a été assez partagée. Y compris par les dirigeants anglais. À la décharge de nos gouvernants, la crise n’a atteint son plus haut degré de gravité qu’au mois de septembre, avec la faillite de la banque Lehman Brothers. Pour autant, dès le mois de mars, le FMI annonçait déjà des prévisions de croissance négatives pour la France. Des mises en garde que le gouvernement n’a pas voulu entendre.

Dans de telles conditions, quelles sont les perspectives économiques ?
L’année 2009 sera terrible, pire, je crains, que ce que l’on croit. La récession devrait toucher tous les pays. L’OCDE et le FMI rivalisent désormais de pessimisme dans leurs prévisions. La croissance française pourrait descendre à -0,5%. Le chômage va encore s’accélérer. Avec une crise comme celle-ci, tout est possible. Et si, en plus, la Chine connaît un brusque ralentissement économique ou que la chute de l’immobilier est encore plus significative, toutes les anticipations vont dérailler. Encore une fois, le plan de relance aurait pu être beaucoup plus utile s’il avait résulté d’une vision large. En annonçant que la crise ne s’étendra que sur 2009, le gouvernement commet la même erreur que lorsqu’il s’entêtait à nier l’ampleur de la crise pour 2008. (Propos recueillis par Elisabeth Philippe)

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