samedi 20 décembre 2008

"La démocratie à l'épreuve de l'exclusion", colloque organisé par ATD Quart Monde

J'ai assisté avec beaucoup d'intérêt jeudi 18 et vendredi 19 décembre à une grande partie du colloque organisé par l'association ATD Quart Monde à l'école Sciences Pô Paris. La thématique traitée, "la démocratie à l'épreuve de l'exclusion", interpelle en effet les élus et les militants politiques : elle pose la question de la réalité de la démocratie quand une partie des citoyens est privée de ses droits les plus élémentaires (prévus par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 dont c'est cette année le 60e anniversaire : droit à l'alimentation, à un logement, à un travail qui ne nuise pas à la santé, ...) et ne peut de ce fait exercer la citoyenneté.
J'ai donc pensé utile de donner ici un résumé sélectif (et certainement non objectif) des principales idées exprimées lors des séances plénières et des ateliers auxquels j'ai assisté ( "Penser la grande pauvreté et l'exclusion", "La reconnaissance politique des plus pauvres", "Les personnes en situation de grande pauvreté comme acteurs politiques" et "Face à l'extrême pauvreté, quelles politiques ?), assorti de quelques réflexions personnelles.

La reconnaissance politique des exclus
Il faut réfléchir sur les catégorisations à l'oeuvre dans notre société. Serge Paugam, chercheur à l'EHESS, a souligné le caractère relatif des notions de pauvreté : si on place le seuil de pauvreté à 50% du revenu médian, 6% des personnes qui vivent en France sont sous ce seuil, mais si on le place à 60%, alors on passe à 12% des Français et une centaine d'euros seulement sépare ces deux seuils. Il est difficile de tracer une ligne de démarcation entre pauvreté et grande pauvreté. André Gueslin, professeur à Paris VII, a évoqué les distinctions établies historiquement par les institutions depuis le XIVe siècle entre "bons pauvres" et "mauvais pauvres", les premiers étant ceux qui respectent certaines normes : travail, famille, lieu de résidence. Lors du vote de la loi sur le RMI, en 1988, pour la première fois, la distinction entre "bons" et "mauvais" pauvres a été abolie, et ce revenu, dissocié de l'obligation de travailler, pensé seulement en terme de droits humains fondamentaux. Or on constate que cette distinction revient en force aujourd'hui, accompagnant les notions de "responsabilité", de "mérite" : elle engendre une culpabilisation des personnes en situation de pauvreté, un sentiment de honte d'être pauvre comme si on en était responsable. Or quand une usine ferme dans une région et ravage un bassin d'emploi, comment prétendre que les ouvriers licenciés sont responsables de la pauvreté dans laquelle ils se trouvent plongés ? La thématique de l'assistanat, ressassée à l'envie par les politiques de droite mais aussi parfois de gauche et par les media, focalise l'attention sur des fraudes spectaculaires qui ne reflètent en rien la réalité de ce que vit la masse des personnes bénéficiaires. Ainsi, le professeur américain Charles Courtney (Drew University, New Jersey) a dénoncé l'illusion de croire que la pauvreté est une affaire individuelle qui pourrait être éradiquée personne par personne : la pauvreté extrême forme tout un segment de la société, c'est un problème structurel qui doit être pris comme tel par la société à bras le corps. Il nécessite une autre façon de faire de la politique : sortir de l'agitation de la société actuelle caractérisée par un sentiment permanent d'être débordés par l'urgence, pour privilégier des perspectives de long terme. Ainsi, la crise alimentaire, écologique, financière et économique que nous traversons aujourd'hui impose non seulement des mesures rapides pour y faire face, mais aussi de repenser en profondeur le fonctionnement de l'économie mondiale pour répondre à la question que pose l'évolution démographique : serons-nous capables de vivre ensemble dans quelques décennies, quand la terre comptera 9 milliards d'habitants ?

Penser la pauvreté en termes de droits de l'homme
Xavier Godinot, directeur de l'ouvrage collectif Eradiquer la misère, propose de refonder la mondialisation sur les droits de l'homme. Il rappelle les désastres provoqués dans les pays en voie de développement par les politiques d'ajustement structurel imposées par le FMI et la Banque mondiale en échange de prêts. Ces recettes idéologiques s'inscrivaient dans une conception trop matérialiste du développement, qui doit être conçu avant tout comme accroissement des libertés individuelles et nécessite de nouveaux outils de mesure qui ne tiennent pas compte de la seule évolution du PIB. X. Godinot dénonce la manière dont l'aide publique de l'Occident est affectée sans consultation des populations locales et ne répond donc pas à leurs besoins. L'ouvrage collectif propose de placer la lutte contre la grande pauvreté sur le terrain juridique : c'est ce qu'a fait l'association ATD Quart Monde pour le droit au logement opposable (loi DALO). Il s'agirait de faire progresser la justiciabilité des droits de l'homme, conçus comme "droit opposable" (par exemple dans le cas d'un village dont la subsistance est mise en danger par l'installation d'une société multinationale). X. Godinot rappelle qu'il y a plus de vingt ans, l'ONU avait essayé d'établir un code de conduite des multinationales, aujourd'hui totalement abandonné puisque l'on ne met plus l'accent que sur la "bonne volonté" de ces sociétés.

Pour une démocratie participative
Hélène Thomas (IEP d'Aix) et Nonna Mayer (CEVIPOF/CNRS) ont toutes deux fortement souligné que la pauvreté pose question au contrat démocratique. Gil Delannoi (IEP) a rappelé la fable du loup et du chien qui oppose les couples pauvreté-liberté (le loup) et aisance-servitude (le chien) et insisté sur le fait qu'il ne faut pas opposer, comme cela s'est fait dans l'Histoire, la lutte contre la pauvreté et la démocratie, la liberté politique. Cependant, l'existence de la pauvreté nécessite que la démocratie se mette en cause dans sa pratique effective pour ne pas être une démocratie d'apparence, pour qu'il n'y ait pas d'exclus de la citoyenneté. N. Mayer a réaffirmé la légitimité d'une action collective revendicative même dans une démocratie représentative. Le répertoire d'action des citoyens s'est élargi depuis les années 1960 où la démocratie était identifiée au seul vote au suffrage universel. Les intervenants soulignent la nécessité, outre le travail des politiques, d'un travail commun des exclus eux-mêmes, de ceux qui agissent auprès d'eux et des universitaires. Ainsi, l'association ATD place les personnes en situation de grande pauvreté au coeur du mouvement : ce sont elles qui détiennent le savoir sur ce qu'elles vivent. Les personnes exclues ont une expérience, les professionnels du champ social une autre, les chercheurs une autre encore : chacun connaît une facette de la réalité, le croisement des savoirs de chacun permet une approche plus complète et plus juste pour élaborer une action en commun.
La plupart des participants à ce colloque ont soutenu l'idée que la démocratie représentative doit être complétée par la démocratie sociale et par la démocratie délibérative ou participative. Le livre dirigé par X. Godinot souligne lui aussi la nécessité de recourir aux nouvelles méthodes participatives mises au point par les sciences humaines pour dépasser les cloisonnements caractéristiques de la société actuelle qui perd le sens du bien commun.

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