mardi 15 avril 2008

Le Pôle écologique sur la déclaration de principes du PS

Pour information, discussion et débat, voici le texte que Bruno Rebelle a présenté lors d'un atelier-débat consacré par le Pôle écologique du PS le samedi 12 avril dernier à la refonte de la déclaration de principes du Parti socialiste :

"Le Parti Socialiste a pendant trop longtemps délégué la question écologique aux Verts, partenaires de la « Gauche plurielle » et considérés comme « spécialistes » du sujet. Cette délégation a eu deux conséquences fâcheuses. D’une part, le PS n’a pas intégré les enjeux écologiques dans la formulation de son projet, bien que les enjeux écologiques aient toujours été au cœur de la pérennité de nos sociétés et qu’ils soient un facteur indissociable de l’avenir de la vie sur terre…
Cet exercice de délégation a aussi cantonné les Verts dans une posture de « référence écologique à Gauche ». Dans ce contexte ce parti n’a pas su dépasser cette posture pour construire et crédibiliser un projet politique de Gauche fondée sur la pensée écologiste. De fait il n’y a pas aujourd’hui en France de projet politique ancré à gauche et nourri des principes du développement durable, à savoir de la convergence de trois objectifs fondamentaux : le maintien et le développement de la cohésion sociale, le respect de l’environnement local et global, la promotion d’une économie plurielle, sobre et responsable créatrice d’emplois et de richesses qui devront être répartie le plus équitablement possible.

Ce projet politique reste donc à construire et la refondation du Parti Socialiste pourrait être l’occasion de répondre à ce défi. Cette « nouvelle inspiration » est d’autant plus essentielle que le Parti Socialiste est trop souvent paralysé par des interrogations sans réponses claires et des atermoiements sans fin sur les grands sujets qui travaillent la société du XXIème siècle : la raréfaction des ressources fossiles et l’épuisement des ressources naturelles, le réchauffement climatique, le développement des techno-sciences - nucléaire, génie génétique et transgénèse, nanotechnologie -, la gestion du principe de précaution…

Il semble cependant qu’avant de vouloir arbitrer ces choix très concrets, qu’il sera bien sur indispensable de trancher, il est indispensable de repenser certains fondamentaux du projet socialiste.

L’idéal socialiste s’est forgé en opposition au capitalisme industriel fondé sur une logique d’accumulation à partir de l’exploitation des ressources disponibles, humaines et matérielles, ressources payées au moindre prix, voire prélevées gratuitement comme le sont les ressources naturelles.

Dès ses premières heures, le socialisme a mis l’accent sur la nécessité de redistribuer le plus équitablement possible les richesses produites par une société portée par le progrès scientifique et technique. Il s’est opposé à l’exploitation de la « ressource humaine » préconisant l’émancipation des individus, notamment par le travail. Mais le socialisme n’a pas fondamentalement questionné la responsabilité à long terme des prélèvements de ressources, ni l’impact des techniques de production sur la biosphère.

Notre Parti, comme l’ensemble du monde politique, est aujourd’hui « rattrapé » par les faits. L’urgence climatique, les conséquences sanitaires des pollutions persistantes, la dégradation de la biodiversité, les risques liés aux nouvelles technologies réputées porteuses de progrès, la vulnérabilité croissante des populations les plus démunies… sont autant d’évolutions qui donnent une idée de plus en plus précise du caractère fini de l’espace planétaire. Nous savons maintenant que nous ne pourrons pas prélever indéfiniment les ressources de la croute terrestre. Nous savons que nous ne pouvons pas exploiter les ressources naturelles renouvelables au-delà de leurs capacités intrinsèques de renouvellement. Nous savons aussi que nous ne pouvons plus rejeter dans la biosphère des produits – déchets, polluants, gaz à effet de serre - qu’elle ne peut digérer.

Par conséquent, l’idéal socialiste est brutalement remis en cause par l’impératif écologique. La production de richesse est aujourd’hui fortement contrainte voir même quantitativement bornée. Les solidarités – nationale, internationale et intergénérationnelle – doivent donc être conduites dans le cadre d’une enveloppe de richesse quasiment constante… une enveloppe en très prudente progression pour les promoteurs d’un développement vraiment durable et responsable… une enveloppe qui doit diminuer progressivement pour les avocats de la décroissance…

Pour résoudre cette équation les socialistes doivent répondre à quelques questions essentielles concernant le rapport à la croissance, au marché, au progrès, au collectif et enfin la responsabilité internationale.

Notre rapport à la croissance ou plutôt notre conception de la richesse.

Le débat croissance – décroissance est faussé parce que nous oublions que la croissance, dans son acception réductrice de croissance économique, n’est qu’un moyen. Car l’économie n’est ou ne devrait qu’être un moyen pour satisfaire aux besoins d’émancipation des individus et des groupes qu’ils constituent. L’économie que nous devons promouvoir doit non seulement être au service des besoins essentiels des sociétés humaines elle doit être aussi, et de plus ne plus une économie de sobriété, fondée sur des modes de production offrant les biens et services attendus par la société en consommant moins d’énergie, moins d’eau et moins de matière première.

Ce débat est également faussé du fait même que les instruments de mesures que nous utilisons pour apprécier l’état de la société sont largement dépassés. Une marée noire est bonne pour le PIB, mais les échanges bénévoles qui contribuent à restaurer l’écosystème et permettent souvent à des individus de redonner du sens à leur vie ne rentre pas dans le calcul de cet indicateur…

Patrick Viveret et bien d’autres nous invitent à passer de la société de l’avoir à la société de l’être… Nous devons donc opérer une transformation fondamentale de notre rapport à la richesse pour faire une place bien plus importante à la qualité des rapports humains, des solidarités, des sécurités construites collectivement. C’est d’abord en changeant nos instruments de mesures que nous permettrons cette transformation. Il est temps de promouvoir le « progrès humain » en nous inspirant notamment des travaux du Programme des Nations unies pour le développement promoteurs depuis plusieurs années du « développement humain ».

Concernant notre rapport au marché.

Même si nos instruments de mesures sont inadaptés, force est de constater que la comptabilisation des contraintes environnementales et des impacts des activités humaines sur la biosphère progresse. On parle de plus en plus d’intégration des externalités dans l’élaboration des coûts des produits et des services. Cette évolution est à la fois indispensable et dangereuse. Indispensable, car il est temps de payer ces biens et services au prix réel, un prix intégrant les impacts des produits tout au long de leur cycle de vie. C’est bien le minimum qu’une économie responsable doivent assurer. Mais cette évolution est aussi dangereuse car la seule intégration des externalités ne suffira pas à réduire les nuisances et les dégradations… Dangereuse car l’internalisation des coûts ou la « compensation » peuvent devenir des excuses pour poursuivre des pratiques dont on sait qu’elles sont dans l’absolu dommageables et donc non soutenables. Ainsi l’utilisation de véhicules de grosse cylindrée (4x4 ou autre) dans l’espace urbain ne doit pas simplement être compensée par des taxes ou un malus écologique, elle doit être interdite ou très fortement réglementée.

S’il faut singulièrement améliorer le fonctionnement du marché ; il faut surtout renforcer très significativement les régulations publiques qui devront s’organiser en fonction de l’impératif écologique et en particulier en fonction des objectifs de lutte contre le changement climatique.

Notre rapport au collectif

La crise écologique est subie par tous mais elle n’a pas le même impact sur tous. Les plus précaires sont les plus exposés aux nuisances, dans le travail et dans leur vie quotidienne. Ils sont les plus vulnérables aux effets des accidents climatiques majeurs. Ils sont aussi les plus pénalisés par le renchérissement des produits liés à la tension sur les ressources. La solidarité, fondement de l’action des Socialistes, doit intégrer maintenant une nouvelle dimension : celle de la justice environnementale. Les régulations publiques qui doivent contenir le marché et orienter les tendances de production et de consommation, devront également veiller à réduire ces nouvelles injustices générées par la crise écologique.

Ce renforcement des régulations publiques est semble-t-il plutôt attendu par le public qui perçoit mieux que nous ne l’imaginons la responsabilité collective qui doit être mise en œuvre pour faire face à la crise. La seule mobilisation des individus, la seule addition « des petits gestes du quotidien » ne suffira pas à répondre aux enjeux… ces gestes ne sont pas négligeables et ils constituent une étape dans le prise de conscience de chaque individu. Mais il faut reconnaître que c’est bien par la mise en œuvre d’action collective d’envergure, par la reformulation des politiques publiques et par la transformation des modèles industriels que nous pourrons traiter la crise.

Cette « mobilisation générale » nécessite beaucoup de concertation. Il nous faut réapprendre collectivement à construire les arbitrages nécessaires. Parce que les avantages des uns sont souvent des inconvénients pour les autres, mais aussi et surtout par ce que les avantages des uns sont très souvent générateurs de nuisances ou de risques pour l’ensemble de la collectivité.
Pour engager les mutations indispensables de nos modes de production et de consommation, pour que chaque acteur de la société soit convaincu de ses responsabilités individuelles comme éléments déterminants de notre responsabilité commune, cette nouvelle société doit informer, convaincre et rassembler. Surtout nous devons avoir le courage de sortir de ce qu’Emmanuel Giannesini dénonce comme la « vision infantilisante et en fin de compte méprisante de l’électeur, dont il est postulé par principe qu’il n’acceptera jamais la moindre restriction à ses habitudes de consommation ». Parce que c’est entre citoyens mobilisés et responsables que nous inventerons les solutions pour sortir de la crise économique, sociale, écologique et démocratique qui mine notre pays.

Cet impératif d’information et de mobilisation repose lui même sur la nécessité d’une transparence maximale des choix qui devront être portés. Le droit à l’information, pourtant inscrit dans nombre de conventions internationales n’est pas suffisamment respecté. Des OGM au nucléaire, de la politique étrangère aux enjeux de la dette publique nous le voyons aujourd’hui le manque de transparence est un poison qui plombe les débats, exacerbe les tensions et interdit toute progression de la responsabilité collective.

Notre rapport au progrès

Umberto Ecco, dans le Pendule de Foucault, nous dit avec justesse : « à tout problème complexe il y une solution simple… elle est mauvaise ! ». Si l’idéal socialiste a toujours été de partager les fruits du progrès, les socialistes ont insuffisamment questionné le contenu de ce progrès et l’ont trop souvent réduit au progrès technologique et scientifique, en ne s’intéressant presque exclusivement qu’aux sciences dites dures : physique, chimie, mathématique, biologie. Et comme notre société a toujours eu tendance à vouloir simplifier la complexité du monde, elle a trop souvent fait le choix d’une solution quasiment unique et réputée « simple » pour répondre aux problèmes complexes rencontrés.

Nous devons aujourd’hui rechercher d’autres pistes de réflexion en nous efforçant d’analyser différentes alternatives pour chaque problème rencontré. Nous devons nous intéresser plus systématiquement aux conditions sociales et politique du changement, plutôt que de limiter notre au seul contenu technologique des innovations. Il en va ainsi des enjeux énergétiques, de l’évolution de l’agriculture et de bien d’autres secteurs. C’est cette approche mettant en avant la multidisciplinarité, la transversalité des approches, l’éloge de la complexité qui doit maintenant nous guider… Pourquoi ne prendrions nous pas exemple sur la sophistication des écosystèmes naturels pour repenser l’organisation de nos villes, de nos territoires, de nos vies… ?

La France, l’Europe, le Monde

Nous ne nous sauverons pas seuls ! La crise est globale et que ce soit dans ses dimensions écologiques, sociales ou économiques sa résolution nécessite d’agir non seulement sur notre terrain national mais aussi pour peser sur les grands désordres du monde en tentant de les corriger. La crise climatique est à ce titre exemplaire. Si elle touche l’ensemble des pays du monde force est de constater que certains pays sont plus responsables que d’autres de la gravité de cette crise…Faut-il rappeler que si la Chine sera bientôt le premier pays émetteur de gaz à effet de serre, les émissions par habitant sont encore ici 6 fois inférieure à celle d’un ressortissant des Etat Unis et 3 fois inférieure à celle d’un Européen ! Faut-il rappeler qu’aujourd’hui encore 2 milliards d’individus n’ont pas accès à une source fiable d’énergie… La France et l’Europe ont de facto une responsabilité particulière.

L’émergence en France de nouveaux modèles de production de biens et de services devra s’accompagner d’un effort de coopération pour que ces modèles inspirent d’autres économies dans le reste du monde. Nous n’aurons d’autres choix que celui de la coopération sauf à nous replier dans un protectionnisme tout azimut dont on peut raisonnablement douter de l’efficacité dans le monde globalisé du XXIème siècle.

Gouverner c’est prévoir. Prendre en compte la crise écologique, c’est préparer la société à aborder avec plus de sérénité un avenir incertain et souvent inquiétant. Cette anticipation est une responsabilité nouvelle que les socialistes doivent assumer en étroite connexion avec l’ambition de solidarité qu’ils portent historiquement. "

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