dimanche 20 avril 2008

Hommage à Germaine Tillion

Je voudrais rendre un modeste hommage à Germaine Tillion, grande chercheuse et figure historique de la Résistance, qui est décédée hier à Saint-Mandé à l'âge de cent ans.

Nous connaissons tous à Saint-Mandé l'engagement de Germaine Tillion dans la Résistance au sein du Réseau du Musée de l'Homme qui a été fondé au cours de l'été 1940 par des scientifiques du musée, le linguiste Boris Vildé, l'anthropologue Anatole Lewitsky et la bibliothécaire Yvonne Oddon. Germaine Tillion, ethnologue spécialiste des Aurès et déjà active dans la résistance auprès du colonel Paul Hauet, s'est associée à ce groupe, spécialisé dans l'organisation d'évasions vers l'Angleterre, la collecte de renseignements à destination de Londres et la diffusion de tracts et d'un journal clandestin, Résistance. Après l'arrestation des membres fondateurs du réseau au début de l'année 1941 (c'est "l'affaire du Musée de l'Homme" : à l'issue du procès, Léon Maurice Nordmann, Georges Ithier, Jules Andrieu, René Sénéchal, Pierre Walter, Anatole Lewitsky et Boris Vildé seront fusillés au Mont-Valérien le 23 février 1942, Yvonne Oddon, Sylvette Leleu et Alice Simmonet seront déportées), Germaine Tillion en a assuré la direction de l'été 1941 jusqu'à son arrestation le 13 août 1942 et sa déportation au camp de femmes de Ravensbrück le 31 octobre 1943.
Germaine Tillion a conservé à Ravensbrück son regard d'ethnologue et a décrypté le fonctionnement du système concentrationnaire, fidèle à l'idée qui sous-tendait son travail de chercheuse en Algérie, que la compréhension lucide des événements aide à mieux se défendre. Elle a publié ensuite l'un des premiers témoignages sur le système concentrationnaire, A la recherche de la vérité, en 1946, suivi de Ravensbrück, en 1973, et a mené dans le cadre du CNRS des enquêtes sur les femmes déportées de France, parvenant à reconstituer l'histoire de près de 4000 d'entre elles. Elle est aussi l'auteur d'une opérette composée à Ravensbrück même, Le Verfügbar aux Enfers, pièce en trois actes rédigée sur un carnet volé à l’administration du camp et jouée à la dérobée devant ses compagnes du block (publiée en 2005 aux Ed. de la Martinière). Germaine Tillion y tourne en dérision l'absurde du camp, puisant les airs dans la culture populaire et maniant l'ironie comme arme de subversion. Le Verfügbar aux Enfers a été monté pour la première fois en juin dernier au Théâtre du Châtelet.

On connaît moins le travail pourtant capital de Germaine Tillion sur le monde arabo-berbère, que j'ai eu la chance de découvrir grâce à un séminaire de l'Ecole pratique des hautes études (EPHE) où elle a longtemps enseigné. Germaine Tillion a en effet repris ses recherches en Algérie à partir de 1954, enquêtant sur le sort des populations civiles dans les Aurès et dénonçant ce qu'elle appelle la "clochardisation" de paysans devenus brutalement citadins. Chercheuse engagée, elle considérait "les obligations de sa profession d'ethnologue comme comparable à celle des avocats, avec la différence qu'elle la contraignait à défendre une population au lieu d'une personne" (L'Afrique bascule vers l'avenir, p. 18-19). C'est ce qui l'a conduite, pendant la guerre d'Algérie, à dénoncer les tortures et les exactions commises par l'armée française comme à obtenir un arrêt des attentats du FLN à Alger, et à multiplier les démarches pour sauver des vies dans les deux camps (voir son livre Les ennemis complémentaires, 1960).
Germaine Tillion s'est ensuite consacrée à la recherche et a créé en 1963 une équipe associant des ethnologues et linguistes pour étudier la littérature orale arabo-berbère. Elle a publié en particulier un livre sur le mariage et la condition des femmes au Maghreb, Le harem et les cousins, en 1966, et fait ce constat : "A notre époque de décolonisation généralisée, l'immense monde féminin reste à bien des égards une colonie."

Son combat pour la justice n'a jamais cessé. Jusqu'à ses derniers jours, Germaine Tillion n'a cessé de défendre les migrants, les minorités, les exclus en France et dans le monde au sein de plusieurs organisations et mouvements. Ce qui me touche tout particulièrement dans son parcours, c'est la façon dont elle a su réunir tout au long de sa vie un travail de recherche dans les plus hautes instances scientifiques et l'action au service des autres.


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