dimanche 20 décembre 2009

Le trompe-l'oeil du grand emprunt à la place de la constance budgétaire

Tribune parue dans Le Monde du 16 décembre (n° 20184, p. 22)

La question fondamentale des grands investissements pour la France du futur méritait mieux que l'opération de communication de Nicolas Sarkozy baptisée " grand emprunt ".
Chacun sait bien - et d'abord au sommet de l'Etat - que dans le contexte de déficit massif des finances publiques et d'endettement record, parler d'un emprunt supplémentaire est à la fois irresponsable au plan budgétaire et critiquable au plan politique. L'exercice se résume à un gigantesque trompe-l'oeil, qui dégradera un peu plus encore la situation de la France sans imaginer les solutions à la hauteur des enjeux.
Il en va ainsi de l'enseignement supérieur et la recherche. Voilà bien un domaine qui fait consensus : tout le monde s'accorde sur le retard d'effort de la France accumulé au cours des dernières années et sur l'importance de ce pilier pour notre avenir. En 2008, la recherche représentait 2,02 % du PIB, en baisse constante depuis 2002 (2,23 %), alors que la stratégie de Lisbonne, adoptée voilà une décennie, fixe l'objectif à 3 % au sein de l'Union européenne : voilà le bilan de Nicolas Sarkozy et des gouvernements auxquels il a appartenu.
Un effort massif dans ce secteur clé pour notre avenir est indispensable. Encore faut-il le faire de façon adaptée. Malheureusement, les choix de Nicolas Sarkozy sont en décalage avec les besoins de notre pays et compromis par les engagements non tenus de l'actuel gouvernement.
L'objectif affiché du rapport est de financer les universités par des dotations en capital pour les universités, en privilégiant quelques établissements. Mais cela bénéficiera-t-il réellement à tous nos étudiants ?
L'objectif d'une politique d'enseignement supérieur est de permettre d'élever au maximum le niveau de formation à travers le pays. En France, les universités ont une mission d'accueil large, d'égalité. Elles contribuent à l'attractivité des territoires, en formant des salariés qualifiés, en particulier dans les secteurs industriels (automobile, technologies de l'information et de la communication, biotechnologies et pharmacie, ingénierie de l'environnement, etc.).
Que souhaitent les citoyens ? Avoir quelques universités qui brillent dans le classement de Shanghaï, ou bien avoir accès à une bonne formation ?
Quant au financement, les sommes empruntées ne seront pas utilisables directement, mais replacées auprès du Trésor. Cela revient à maquiller une augmentation qui, en termes budgétaires, serait de moins de 400 millions d'euros (les revenus annuels du capital), en une dotation d'une dizaine de milliards.
En outre, cette proposition de faire reposer les financements universitaires sur des dotations en capital ressemble à une mauvaise farce à l'heure où la situation financière des universités américaines, qui repose pour partie sur ce système, est très dégradée. Il n'est pas interdit de tenir compte des échecs de certaines expériences étrangères pour éviter de les reproduire en France.
Développer les industries du futur - biotechnologies médicales, éco-technologies - nécessite une vraie politique industrielle. Cela implique aussi d'augmenter très fortement le nombre de scientifiques. L'Union européenne avait évalué à 700 000 le nombre de chercheurs supplémentaires nécessaires pour atteindre les objectifs de Lisbonne. Mais la politique conduite ces dernières années a produit une baisse importante du nombre d'étudiants intéressés par la recherche. Des laboratoires qui comptent parmi les meilleurs au monde ont vu le nombre de thèses délivrées divisé par deux. Notre tissu économique, en particulier nos PME innovantes, pâtiront de cette pénurie organisée.
En supprimant des emplois scientifiques dans les universités et organismes de recherche, en refusant de donner tous les moyens nécessaires à une vraie politique industrielle, Nicolas Sarkozy a sacrifié une génération de chercheurs et menace gravement la pérennité de notre outil industriel. A moins d'un changement complet de politique, la France risque de continuer à glisser sur la mauvaise pente.
Oui, " investir pour l'avenir " est une priorité ; mais cela suppose de vrais crédits, de vrais emplois scientifiques et industriels, une vraie volonté politique. Une politique inscrite dans la durée a besoin d'un effort budgétaire constant, qui est possible si on cesse certaines erreurs comme la baisse de la TVA pour les restaurateurs. Cherchez l'erreur !

Guillaume Bachelay, secrétaire national à l'industrie et aux nouvelles technologie de l'information et de la communication au PS
Bertrand Monthubert, secrétaire national à l'enseignement supérieur et à la recherche
Michel Sapin, secrétaire national à l'économie, député PS de l'Indre

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