mercredi 7 avril 2010

Intervention de Serge Lagauche sur le Grand Paris - Sénat, 6 avril 2010

Monsieur le président,
Monsieur le secrétaire d’Etat,
Mes chers collègues,
L’histoire de l’aménagement du territoire en Ile-de-France est marquée par un désengagement progressif financier de l’Etat, dans le cadre des contrats de plan puis de projet, contribuant à l’accroissement des inégalités sociales et territoriales, en matière d’emploi, de logement et de transports collectifs.
Les opérations d’intérêt national (OIN) lancées sur le territoire francilien ont ensuite progressivement annoncé le retour de la volonté de l’Etat de s’impliquer dans l’aménagement du territoire de la région. Dans le Val-de-Marne, avec l’OIN Orly – Rungis – Seine amont, nous avions appréhendé positivement ce retour de l’Etat, considérant que cela se traduirait par des investissements publics plus importants, indispensables à un nouvel élan pour notre territoire, dans le respect de la démocratie locale.
Malheureusement, le texte issu des travaux de notre Commission spéciale sénatoriale sur le Grand Paris reste marqué par la philosophie générale de votre projet de loi. La dimension globalement unilatérale de votre projet de métro automatique en rocade confère en effet à l’Etat et à la Société du Grand Paris la quasi-totalité des moyens de définition et de réalisation, à la fois de l’infrastructure et des noyaux urbains autour des gares.
Or, tout porte à croire que la puissante logique opérationnelle mise en place, associée à la recherche de plus-values foncières et immobilières, risque d’accentuer les inégalités et les déséquilibres. En périphérie des périmètres définis dans le cadre des contrats de développement territorial, vous prenez le risque de rejeter une nouvelle fois les populations modestes et les activités économiques les moins rentables.
Votre projet comporte un risque réel de ségrégation accrue et de développement à plusieurs vitesses alors même que le but d’une infrastructure nouvelle telle qu’un métro traversant le territoire francilien en rocade doit être de générer un effet d’entraînement bénéficiant à l’ensemble du territoire.
C’est précisément l’objet du projet de rocade de métro en proche couronne Arc Express porté par la région Ile-de-France via le schéma directeur de la région Ile-de-France (SDRIF), étroitement lié au plan de mobilisation pour les transports en Ile-de-France.
Ce plan de mobilisation, doté de 17,8 milliards d’euros pour les transports en commun pour les dix ans à venir, est le plus ambitieux depuis la création du réseau express régional (RER) dans les années 70. Le plus ambitieux non seulement en termes de moyens, mais encore et surtout en ce qu’il place au premier rang de ses priorités la modernisation et la rénovation des lignes existantes. A la tête du STIF (syndicat des transports en Ile-de-France) depuis 2006, M. Jean-Paul HUCHON, nouvellement réélu président de la région Ile-de-France, a réussi à obtenir l’engagement des départements franciliens, de la ville de Paris et du STIF pour co-financer ce plan. A ce titre, il est invraisemblable que l’Etat refuse de s’engager financièrement dans sa mise en oeuvre. Le texte issu des travaux de la Commission spéciale sénatoriale sur le Grand Paris tente de nous faire croire qu’il permettra une articulation des travaux de la Société du Grand Paris avec le plan de modernisation des transports en Ile-de-France issu d’une concertation générale avec l’ensemble des représentants des collectivités territoriales. Mais l’Etat, par l’intermédiaire de l’amendement de M. POZZO DI BORGO intégré au texte de la commission, supprime purement et simplement le débat public engagé sur le projet Arc Express. Nous considérons que cette suppression constitue ni plus ni moins un rejet d’Arc Express ! Une fois de plus la majorité sénatoriale nous fait part de sa bien curieuse conception de la démocratie locale et de l’irrespect qu’elle porte aux projets co-élaborés et votés par l’ensemble des collectivités territoriales franciliennes.
Vous nous proposez un projet de rocade automatique éloigné des lieux de vie qui, en reliant uniquement les principaux pôles économiques franciliens, fait totalement abstraction des besoins réels de déplacement domicile - travail. Votre grand huit est déconnecté des besoins des Franciliens. Contrairement au projet Arc Express qui doit permettre une desserte fine des zones d’habitation et de travail autour de Paris, la rocade en double boucle desservira des gares éloignées les unes des autres.
Or un réseau de transport tel que celui-ci doit d’abord améliorer les déplacements domicile - travail. C’est précisément l’objet d’Arc Express qui, pour un moindre coût - 9,6 milliards d’euros contre plus de 21 milliards pour la double boucle – prévoit davantage de gares dans des territoires fortement urbanisés et permet donc de desservir un maximum d’habitants et d’emplois.
Un consensus s’était d’ailleurs dégagé au sein de la Commission spéciale présidée par notre collègue M. Gilles CARREZ pour mettre en oeuvre et financer prioritairement le plan de mobilisation pour les transports en Ile-de-France qui inclut le projet Arc Express.
Nous ne sommes pas hostiles au principe d'une grande boucle autour de Paris, mais il est évident que ce n'est pas la priorité tant les Franciliens sont avant tout en attente d’un meilleur fonctionnement des transports actuels.
Si je prends l’exemple de mon département, le Val-de-Marne, le projet de métro automatique Orbival, qui, après concertation, a été intégré au projet Arc Express de la région, doit permettre de faciliter les déplacements à l’intérieur du département en le traversant d’Est en Ouest. En correspondance avec les lignes de RER et 3 lignes de métro, Orbival vise à connecter le Val-de-Marne à l’ensemble du territoire régional. Voilà comment concrètement contribuer au rééquilibrage entre l’Est et l’Ouest du département et ainsi le relier à Marne-la-Vallée. En raccordant les principaux pôles d’activité et d’emploi, il s’agit, avec Orbival, de créer des synergies de développement au sein des différentes filières économiques du département. Les trajets domicile - travail en seront raccourcis grâce au rapprochement des bassins de vie et des secteurs économiques.
Face à la création d’un établissement public sur le plateau de Saclay, observons le rapprochement des Universités Paris 12 et Marne-la-Vallée, récemment réunies sous la même bannière Université Paris Est. Cet ensemble possède tous les atouts pour égaler des ensembles universitaires internationaux, en condition de vie et de travail des chercheurs et des étudiants.
Avec actuellement 45 000 étudiants dont 15 000 en master et 1 300 en doctorat, avec 1 300 enseignants, 1 600 chercheurs et enseignants-chercheurs dont près des deux tiers dans les sciences exactes, l’Université Paris Est doit être soutenue pour créer à l’Est un grand pôle industriel et scientifique consacré à la construction, à la maintenance et aux services de la ville durable, sans oublier le pôle médical international du CHU Henri Mondor à Créteil.
Il faut penser la complémentarité entre le site de Saclay et celui de l’Université Paris Est Créteil. Saclay fait partie de la métropole parisienne. Il est plus que jamais nécessaire de développer des coopérations internes à l’Ile-de-France. Or le grand emprunt va continuer à privilégier le site de Saclay, déjà fortement doté. A Créteil, comme à Marne-la-Vallée et à la Cité Descartes, on peut engager le processus de développement tout de suite. Une nouvelle dynamique est manifestement en route : il existe un fort consensus entre tous les acteurs (élus, universités, grandes écoles, aménageurs, chambres de commerce). Attention à l’hyperspécialisation des sites académiques dans la logique des pôles d’excellence. N’oublions pas d’assurer un enseignement supérieur de base de qualité permettant l’éclosion de nouveaux chercheurs.
La mise en relation de l’OIN Orly-Rungis-Seine Amont avec Marne-la-Vallée, les efforts du Conseil régional d’Ile-de-France, du Conseil général du Val-de-Marne, de la Communauté d’agglomération de la Plaine centrale du Val-de-Marne et de la ville de Créteil ont permis de regrouper les principales composantes de l’Université Paris Est sur des sites proches. 4 000 logements étudiants sont d’ores et déjà disponibles sur les deux sites de Créteil et Marne-la-Vallée, mais les besoins n’en sont pas moins considérables. Plus de 6 000 logements pourraient y être réalisés : 1 800 dans et autour de la Cité Descartes, 2 500 au Val d’Europe, 1 500 à et autour de Créteil, 500 sur le domaine de Chérioux à Vitry-sur-Seine. Il faut développer d’urgence un plan de construction de logements étudiants, en concertation avec les municipalités et en associant des bailleurs publics et privés. Comment peut-on penser une ville-monde si elle n’est pas une ville à vivre ?
Une fois de plus l’argent ira à l’argent. 850 millions seront versés au plateau de Saclay dans le cadre du Plan campus. Dans le même temps, vous préparez une desserte sur mesure pour le quartier d’affaires de La Défense. Rien, ou si peu, ne figure dans ce texte pour répondre à la demande de logement social.
En résumé, votre texte ne permettra d’améliorer ni la qualité de vie des Franciliens, ni la solidarité entre les territoires.
Tout au mieux le projet de métro automatique en double boucle permettra-t-il aux millions de salariés modestes résidant à l’Est de Paris de rallier La Défense et ses futures tours jumelles pour lesquelles est évoquée par la presse la construction de quelques logements de très grand standing à 12 000 euros le mètre carré, sans oublier le prix du mètre carré pour les entreprises qui est dix fois plus cher à l’Ouest qu’à l’Est. Il y a là une injustice qu’un projet global pour le Grand Paris ne peut éluder. Ce texte sera-t-il l’occasion manquée de traiter en priorité la question fondamentale du nécessaire rééquilibrage entre l’Est et l’Ouest, en termes de logements, d’emplois et de transport ? Ce triptyque est indissociable pour faire du Grand Paris une métropole à vivre. Nous ne sommes pas opposés par principe à un projet de métro automatique en double boucle. Mais les priorités sont ailleurs. C’est tout le sens des actions planifiées sur une période de 25 ans dans le cadre du SDRIF. Le gouvernement doit cesser d’en bloquer la mise en oeuvre et agir de concert avec l’ensemble des collectivités territoriales franciliennes. On ne transforme pas le présent et l’avenir d’une région sans ses élus, encore moins sans la prise en compte des besoins de ses habitants.
Monsieur le secrétaire d’Etat, que les pleins pouvoirs que va vous donner la loi ne vous fasse pas oublier de tenir compte des avis des élus, de la population et des architectes, même si cela fait perdre un peu de temps pour accomplir « le grand projet du président de la République ».

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