mardi 17 juin 2008

Pour les 35 heures, contre le démantèlement du droit du travail

La mobilisation était belle aujourd'hui pour défendre les 35 heures, mais je l'aurais espérée plus soutenue, dans un contexte où l'on voit les atteintes au droit du travail se multiplier, en France et en Europe.

Outre le "travailler plus pour gagner plus" incroyablement régressif de N. Sarkozy, le gouvernement offre la possibilité de faire pièce aux 35 heures par dérogation dans le cadre d'accords d'entreprises. Or je suis fermement convaincue que ces retours en arrière sont inadaptés, d'abord parce qu'ils s'appuient sur un diagnostic erroné. Les Français qui ont un emploi travaillent déjà beaucoup, plus que les Anglais, les Danois ou les Allemands : 35h30 en moyenne par semaine contre 35h40 pour l'ensemble des Européens (source : Eurostat). Le problème en France n'est pas de faire travailler plus les salariés âgés de 25 à 55 ans, parmi les plus productifs du monde (source : statistiques du travail américaines), il est de donner accès au marché du travail aux jeunes et aux seniors qui forment une part importante des chômeurs. Et c'est précisément ce qu'avait permis la réforme des 35 heures, créatrice d'emplois quoi qu'on entende souvent : entre 1997 et 2001, il y a eu plus de croissance en France qu'ailleurs en Europe, et 350 000 emplois nets ont été créés, qui ont bénéficié en particulier aux 15-25 ans (25% d'entre eux avaient un emploi en 1997, 30% en 2001) et aux 55-64 ans (28% en 1998, 35% en 2002) (source : G. Duval). Remettre en cause les 35 heures est donc catastrophique : le système des heures supplémentaires mis en place par N. Sarkozy dissuade déjà les entreprises d'embaucher. L'Unedic, qui a publié ses chiffres jeudi dernier, a ainsi enregistré au premier trimestre 2008 une création d'effectifs salariés (+ 55 900 postes) deux fois moins dynamique qu'au dernier trimestre 2007 (+ 106 000).

On a d'autant plus de raisons de s'inquiéter que, dans le même temps, le Conseil des ministres européens a adopté mardi 10 juin une directive sur le temps de travail qui permet d'aller jusqu'à 65 heures hebdomadaires (tout cela est bien expliqué par Henri Weber, député européen, sur son blog, où la directive est téléchargeable).

La directive actuelle fixait la durée hebdomadaire maximale de travail à 48 heures, y compris les heures supplémentaires (art. 6), mais permettait de déroger à ce maximum si l’employeur obtenait l’accord du travailleur (art. 22), possibilité de dérogation accordée à la demande de la Grande-Bretagne et connue sous le nom de « opt-out » [possibilité de ne pas opter pour une règle]. De plus, la directive fixait la période de référence pour le calcul de la durée moyenne de travail hebdomadaire à un maximum de quatre mois (art. 16).

Dans la nouvelle directive, "l'opting out" est consacré, ce qui permet d'allonger la durée du temps de travail jusqu'à 65 heures, et même au-delà si une convention collective ou un accord l'autorise (art. 22 modifié). Retour au XIXe siècle et ses onze ou douze heures de travail quotidiennes ?

De plus, ce temps de travail est mesuré suivant une nouvelle définition : la nouvelle directive distingue « temps de garde » et « période inactive du temps de garde » (temps pendant lequel le travailleur, bien que présent sur le lieu de travail, n’exerce pas ses fonctions), qui n’est plus comptabilisé comme temps de travail mais comme temps de repos (art. 2 modifié). Les salariés employés dans le secteur médical pourraient ainsi voir leur temps de travail hebdomadaire (garde active et inactive) atteindre 65 heures ou plus…

Enfin, le temps de référence pour le calcul de la durée du travail est porté de 4 à 12 mois, ce qui donne aux employeurs le droit d'organiser unilatéralement le temps de travail de leurs salariés sur une période d'un an, au mépris de leur vie familiale.

Le gouvernement français a soutenu ce projet qui doit être voté par le Parlement européen, tout en assurant, par la voix de Xavier Bertrand, "qu'il n'y aurait pas de dérogation individuelle à la durée légale du temps de travail en France". J'ai un peu de mal à croire en la parole d'un ministre qui est justement en train "d'assouplir" les 35 heures en permettant des accords sur le temps de travail au niveau de l'entreprise...

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